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Le blog de Funky Zapata
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5 avril 2006

CPE, again

Avant de m'envoler, j'ai lu cet article dans les pages éco du monde du 28 mars. C'est un prof d'éco de la fac de bordeaux si je me rappelle bien.

Aujourd'hui, 87 % du stock d'emplois salariés en France correspondent à un emploi stable type contrat à durée indéterminée (CDI). Contrairement à ce que l'on croit, ce pourcentage n'a pas beaucoup diminué (91 % en 1975). Mais au niveau du recrutement, le contrat à durée déterminée (CDD) est devenu la norme, trois quarts des flux d'embauches se faisant sur contrats précaires. L'un des enjeux du débat autour du contrat première embauche (CPE) est de savoir si, dans quelques années, l'emploi stable sera encore la norme.

Depuis trois ans, différents rapports officiels préconisent une libéralisation du droit du licenciement et la création d'un contrat unique, à mi-chemin entre CDI et CDD, en termes de protection des droits du salarié. Le CPE constitue un premier pas vers ce contrat. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a été la première à développer méthodiquement le point de vue selon lequel la rigidité du marché du travail constitue la cause essentielle du chômage. Elle ne cesse de recommander aux gouvernements européens de flexibiliser leur marché du travail s'ils veulent améliorer leur situation. Pour tenter de convaincre, l'OCDE cherche à mettre en évidence, pays par pays, un lien entre le degré de rigidité du marché du travail et l'évolution de l'emploi. Les Etats-Unis constitueraient le modèle à imiter : l'évolution très dynamique de l'emploi qui y est enregistrée en permanence ne peut être, selon l'OCDE, que la conséquence de la souplesse du marché du travail !

Mais prétendre que la flexibilité améliore le niveau de l'emploi relève d'une profession de foi, du type de celle qui voudrait qu'en assouplissant les règles du divorce il soit possible d'augmenter le nombre de couples mariés. Pourquoi prêter à la flexibilité des vertus qu'elle n'a pas ? Elle modifie assurément la dynamique du marché du travail, mais elle ne génère pas pour autant plus d'emplois. On peut retenir au moins deux effets de la flexibilité.

Premièrement, la flexibilité influe sur les délais de création d'emplois, mais pas sur l'évolution du niveau de l'emploi. Celle-ci dépend fondamentalement du taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) et de l'évolution de la productivité du travail. Aux Etats-Unis, on veille toujours à créer les conditions d'un écart positif entre les deux - par exemple jusqu'en 1995 en abaissant le rythme de la productivité - et c'est cela qui fait la différence. On le vérifie aussi en France. Quand le chiffre de la croissance passe bien au-dessus du rythme de la productivité du travail par salarié, comme c'est le cas lors de l'embellie économique de la fin des années 1990, un million et demi d'emplois sont créés en trois ans. Lors de cette reprise, les entreprises attendent comme d'habitude à peu près un an que la reprise se consolide - 1998 - pour créer des emplois stables en CDI. Dans un pays plus flexible comme les Etats-Unis, les emplois ont été créés plus rapidement et la croissance a été plus riche en emplois lors de la première année. Mais sur l'ensemble des années d'une reprise, à croissance et à productivité équivalentes dans les deux pays, les emplois créés n'ont pas été plus nombreux. La flexibilité ne permet pas de faire plus, elle permet seulement de faire plus vite.

En France, du fait de l'incertitude quant à la pérennité de la reprise et du fait de la réglementation protectrice de l'emploi, les entreprises sont plus timorées dans leur comportement d'embauche. Mais cette inertie à l'embauche n'entrave en rien la création d'emplois, elle en retarde seulement le moment. Les emplois qui n'ont pas été créés la première année le sont ensuite (c'est le cycle de productivité). Le même phénomène joue en sens inverse lorsque la croissance ralentit quelques années plus tard (la réglementation ralentit les licenciements), si bien qu'en moyenne période cela ne change rien au niveau de l'emploi.

Deuxièmement, la flexibilité donne de la fluidité au marché du travail. Elle génère logiquement des flux - mouvements d'actifs passant de l'emploi au chômage ou l'inverse, ou d'un emploi à l'autre - plus importants que sur un marché du travail réputé rigide. Cela contribue à ce que les entreprises parviennent à ajuster rapidement leurs effectifs. Mais surtout à ce que les situations dans lesquelles se trouvent les personnes à un moment donné, bonnes ou mauvaises, ne durent jamais très longtemps. Elles n'ont pas le temps de se figer. Au contraire, en France, le chômeur a vite fait de devenir un chômeur de longue durée. De même, le salarié qui bénéficie d'une certaine ancienneté dans son poste est de mieux en mieux inséré dans son entreprise. Le risque de perdre son emploi tend à diminuer avec le temps. D'où ce constat que notre société serait devenue duale avec, d'un côté, des salariés en CDI relativement à l'abri du chômage (les « insiders »), d'un autre côté, des précaires (les « outsiders ») qui en supportent l'essentiel du poids. A l'inverse, aux Etats-Unis, l'exposition au risque du chômage est généralisée (licenciement à discrétion de l'employeur) et de ce fait plus uniforme, le risque ne dépendant en rien de l'ancienneté dans son poste. Il existerait donc en France une sorte d'injustice, à l'égard des jeunes notamment, qui sert de prétexte aux libéraux pour légitimer les réformes en cours. Si ces dernières devaient passer, il serait sûr que cette inégalité-là serait atténuée, mais au prix d'une généralisation de la précarité.

Les gains en emploi que l'on peut espérer de ces nouveaux contrats sont bien hypothétiques et probablement réduits. Mais les coûts d'un point de vue social et humain sont, eux, garantis d'avance.


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